Extrait du livre « Bataillon de choc, ... en pointe toujours » du capitaine Maurice Guernier, et pour les page 20 et suivantes en association avec le lieutenant Arguillère:
« 25 septembre, 3 heures du matin. Marche prudente. La lune commence à se lever… enfin voilà certainement la gare sur la droite. Il faut retraverser la route… je suis inquiet de le faire si près de l’objectif. Tout se passe bien. Nous entrons immédiatement dans un champ enclos de barbelés et commençons une marche prudente. Tout à coup, une toux éclate à vingt mètres. On ne sait pas bien si c’est du pied d’un gros arbre ou du mur de la gare que l’on distingue bien maintenant. J’ai l’impression pénible que c’est un homme qui tousse pour se donner du courage. Nous a-t-il entendus ?
Silence. Nous nous immobilisons, tapis, observations. Et, maintenant, le dispositif ennemis commence à se préciser : la sentinelle qui vient de se révéler devant le mur ; deux sentinelles mobiles sur la voie (ferrée), qui vont et viennent ; une autre sur notre droite, probablement à l’endroit où le sentier coupe la voie. … A ma gauche, une vache qui rumine avec bruit me donne une demi-minute d’inquiétude. J’ai cru que c’était une sentinelle en marche.
Mon équipier me frappe sur l’épaule et me fait remarquer au rez-de-chaussée de la gare une lumière qui filtre d’un volet mal fermé. C’est là qu’ils doivent être. Puis, il me signale une sentinelle à gauche, au pied d’un arbre. …
Il me faut maintenant forcer la palissade. Soixante-deux torsions du fil de fer pour le rompre, je les ai comptés. J’ai gagné le mur de la gare par le petit fossé. Je me redresse, personne. La mitraillette en arrêt, je tourne le premier angle du mur de la gare et voici la fenêtre de la pièce où « ils » dorment, signalés par quelques ronflements. Il n’y a plus de lumière, il est environ 5h30. La lune est embrumée et n’éclaire pas trop crûment.
De la main gauche, j’essaye d’écarter les volets. Un grincement, deux. Je suis tout crispé, regardant face à moi l’angle du mur où la sentinelle peut apparaître à tout moment. Il ne faut pas que je me laisse surprendre. Voilà, le volet entr’ouvert. La main passe. Un carreau est cassé, parfait.
Et, maintenant, pendant quelques secondes, mes deux mains sont occupées au dégoupillage. C’est fait. Mon bras gauche passe dans la pièce, je laisse tomber la grenade. Un dormeur, qui a dû la recevoir sur le pied, grogne quelques injures. J’attends, les yeux fixés devant moi, la main droite crispée sur la mitraillette. Voilà l’explosion ! C’est fini. Au même moment, devant moi, l’un de mes hommes a fauché d’une rafale la sentinelle dont il n’était qu’à quatre mètres. L’autre, de son côté, a tiré mais sa mitraillette s’est enrayée ; d’une grenade, il a liquidé les deux sentinelles mobiles.
Nouvelle grenade à l’intérieur de la pièce d’om monte un affreux concert de râles et de cris de terreur. Quelques-uns crient « Grenaden, grenaden ». Et puis, par la fenêtre, je vide à l’intérieur un chargeur de mitraillette. EtEt , prévoyant une réaction violente, je bats en retraite. Des râles montent de la pièce, alors nous revenons. D’une rafale par la fenêtre, j’abats un homme qui, à la lampe électrique, semblait examiner les dégâts, puis je lance encore deux grenades dont l’une n’explose pas. A ma gauche, un chasseur descend les fuyards, tandis qu’à ma droite un autre tire au pistolet sur des hommes qui, de la porte, font le coup de feu contre lui.
Je veux l’aider : je dépasse la fenêtre …
Une extraordinaire impression de sécurité et de maîtrise me gagne devant ce désarroi dont nous sommes les auteurs et les maîtres. Dans la pièce, les râles continuent et, par moment, des hurlements de terreur. Je commence à contourner le mur pour arriver sur la façade où est la porte de sortie. Mais d’un coin débouche un Allemand ; il a un pistolet au poing et va tirer, dans la même fraction de seconde, j’ai pressé la gâchette moi-même sans résultat (j’ai oublié d’armer ma mitraillette après avoir mis un nouveau chargeur). Mon brigadier a tiré, surprenant l’allemand qui a eu une hésitation, et a sauté en arrière. Je passe maintenant ma mitraillette à l’angle du muret, d’une rafale en pleine poitrine, je l’abats. Il s’affaisse sans un cri, comme un sac vide. Mais des coups de feu claquent de la porte où deux hommes semblent retranchés et crient des ordres. Derrière moi, des grenades éclatent. Ils continuent à réagir. Je ne vais pas pouvoir déboucher. Au moment où je commence à me replier, je suis surpris par un choc violant et un nuage âcre, tandis que des picotements m’atteignent à la jambe. J’ai compris après coup qu’une grenade avait éclaté près de moi et que j’étais blessé légèrement.
J’appelle mes hommes : « on file ». Au passage, je lâche encore une grenade dans la salle d’attente. De la porte, les Allemands continuent encore à tirailler : sur quoi ? Mon adjoint pour le ralliement, lance entre ses doigts deux coups de sifflet qui s(étranglent dans sa gorge. Et nous rentrons rapidement, toujours possédés de cette impression de maîtrise et de sécurité, parlant haut, racontant nos exploits et discutant de ce qu’il aurait fallu faire. L’opération a dû durer cinq à six minutes. Nos sommes de retour à Chioso avant six heures.
Un aspirant allemand blessé et soigné à Bastia a déclaré que l’effectif cantonné était de quarante-deux hommes dont vingt-huit dormaient dans la salle d’attente et quatorze étaient de surveillance, lui-même était de garde. D’après lui, six hommes seulement (y) ont échappé.
Il déclara qu’il n’avait jamais rien vu, ni imaginé d’aussi affreux que le carnage dans la pièce où avaient été lancés les grenades.
Nous avions eu affaire à des "confrères" : un détachement du 160e Bataillon d’Assaut !
Le concept du 1er bataillon de choc était de frapper fort loin derrière la ligne de front et disparaître une fois le coup de main réalisé. Il ne possédait d'ailleurs aucun armement lourd.