149Zoom sur un vétéran : le parcours du sergent polonais Jean Wiater du 10éme dragon de la 1ère DB polonaise du général Waczek/temps-de-guerre/temoignages/149-temoignage-recueilli-par-l-taveau-en-1997
En 1940, je travaille dans une usine de Reims qui est transférée en région parisienne suite à l’invasion de la France au mois de mai. Ce transfert échouant, je décide de m’engager dans l’armée polonaise. J’avais déjà bien essayé de le faire en 1939 mais dans l’armée française, en réponse à l’invasion de la Pologne.
Je me rends donc dans une gendarmerie à Paris où l’on me conseille d’aller à Coëtquidan où se crée l’armée polonaise.
Je me rends alors en gare de Paris Montparnasse et prends le train pour Vannes, le 20 mai 1940.
Le lendemain, j’arrive à destination et me dirige une fois de plus vers la gendarmerie. Sur place, les gendarmes préparent un camion pour les volontaires, nous sommes dix sept, on nous donne des casse-croûtes puis direction Coëtquidan au petit matin.
Arrivés au camp, un sergent nous accueille : « C’est maintenant que vous venez, une fois que la Pologne a été envahie ? ». Du tac au tac je lui réponds que l’on vient comme et quand on peut.
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On nous distribue de vieux uniformes, de vieilles carabines et nous faisons nos classes jusqu’au 7 juin. Ensuite on nous envoie au camp de Parthenay dans les Deux Sèvres. Dans ce camp nous sommes environ 300 et on nous informe que nous serons versés dans la 2° Division de Chasseurs à Pieds. On nous rhabille et on nous fournit de nouvelles armes puis on nous expédie à Belfort où nous dormons dans un hôtel réquisitionné pour l’armée : « l’Hôtel de France ».
Un soir, nous sommes plusieurs assis au bistrot, une jeune fille passe, elle a vingt deux ans, je l’interpelle et lui demande si je peux l’accompagner. Elle accepte, car elle rentre de son travail. Arrivés chez elle, je suis présenté à son père : « Papa je ramène un soldat ». Il me propose un verre de gnôle, nous discutons longuement sur un banc après que le père se soit couché. Mais je dois la quitter car je dois être rentré à l’hôtel pour vingt trois heures, j’arrive juste à l’heure mais le garde me reproche mon arrivée tardive. Il me dit que nous devions nous tenir prêts pour vingt deux heures, j’ai beau expliquer que je ne pouvais pas le savoir, il m’arrête et me dit que je devrais me présenter au rapport. J’apprendrai plus tard que les soldats partis au front dans ce convoi ont été pris dans une embuscade par les allemands. Il y a eu cinquante tués, cent vingt prisonniers sur un total de deux cent hommes, les autres ont réussi à s’échapper. Cette rencontre avec cette jeune fille m’a à coup sûr sauvé la vie. À ma grande surprise, je la rencontrai à nouveau à Paris après la guerre, rue de Rivoli, alors que j’étais au bistrot avec un ami, décidément… On s’est mutuellement reconnu ! Elle s’était mariée et avait un enfant.
Nous sommes cinq cent soldats, à sept kilomètres du camp de Parthenay, sous la tente, à attendre la suite des évènements. Une nuit, les officiers français, polonais et soldats venant de Pologne prennent des camions et disparaissent en direction de Bordeaux. Le lendemain matin, pas d’appel, nous somme seuls, pas d’eau, je prends un café et me lave, jusqu’à ce qu’un major et un capitaine français accompagnés d’un officier polonais nous annoncent que la guerre est finie.
Ils nous disent que l’on va nous distribuer des vêtements civils et nous donner tous les papiers et laisser passer nécessaires pour circuler librement. Nous ne sommes pas tous d’accord, un capitaine et un lieutenant polonais nous proposent alors d’aller à la Rochelle où des embarquements se font pour rallier l’Angleterre. Acceptant ce choix, nous les volontaires, décidons d’éviter les grandes routes où nous serions arrêtés et jugeons plus sage d’y aller à travers champs.
Nous emmenons beaucoup d’armes, avec un cheval, de l’eau et de la nourriture. En route, nous essayons bien de monter quand même dans des camions aperçus, mais ceux-ci sont tous pleins et ne s’arrêtent d’ailleurs pas à notre vue. En chemin, nous faisons une halte dans un petit village, plus précisément à son bistrot. Un camarade, Wiesnieski, demande au patron s’il a quelque chose à nous donner à manger, celui-ci nous répond qu’il n’a plus rien. Mon ami se faufile alors vers la cave pour vérifier et découvre la réserve, il y a des jambons, de saucissons, du fromage …. Il remonte et demande alors au patron « Tu fais des réserves pour les chleus ? » tout en lui mettant sa baïonnette sous le cou.
Après cette incartade, nous reprenons la route pour la Rochelle, encore cinquante kilomètres pour y arriver mais j’ai déjà les pieds en sang dans mes chaussures neuves. Peu après la sortie du village, un camion s’arrête et le chauffeur voyant notre situation nous promet que s’il trouve de l’essence à la Rochelle où il se rend, il reviendra nous chercher. Quelques heures après nous le voyons revenir et nous finissons donc la route en camion.
Arrivés dans le port bondé de troupes, la Croix Rouge nous accueille et nous distribue du ragoût. Tous n’y goûteront pas : sur les trois cent partis du camp à pieds, une soixantaine a abandonné en cours de route.
Nous apprenons dans la journée qu’un navire polonais va embarquer du monde et appareiller vers vingt deux heures. En attendant, je vais au ravitaillement à l’épicerie près du port, il n’y a plus grand-chose car l’épicière me dit que nous sommes des centaines. Sa fille s’inquiète pour mes pieds en sang, elle me propose de les laver, ce que je refuse car je n’ai pas le temps. Elle insiste pour que je vois un médecin, je refuse encore, alors elle me donne quelques victuailles : un saucisson, du fromage, du pain, elle refuse mon argent, j’embrasse la mère et la fille puis je prends congé.
Je repars vers le navire mais entre-temps celui-ci a pris feu, un sabotage soit disant. Des officiers français et polonais apprennent alors par téléphone qu’à trois kilomètres de la Rochelle, un navire de commerce va embarquer des troupes.
Nous arrivons, toujours à pieds. Je me remémore bien les consignes d’un marin rencontré à Coëtquidan : les premiers qui montent à bord d’un bateau se retrouvent à fond de cale, si le bâtiment coule, aucune chance d’en réchapper. Je laisse donc passer devant moi ceux qui sont plus pressés d’embarquer … Les marins civils me dirigent ensuite sur le pont où il me conseille de m’installer pour dormir. Deux camarades Chmaj Franciszek et Swiderski installent une mitrailleuse Hotchkiss avec l’approbation des marins qui se sentent ainsi plus protégés.
Peu après, deux avions approchent, français ou allemands ? Allemands sans aucun doute, nos deux lascars parviennent à en toucher un qui plonge vers la mer, l’autre fuit.
Le soir je donne à manger à mes camarades qui n’ont rien et mets le reste dans ma musette sous ma tête pour dormir, au réveil il n’y a plus rien, les rats sont passés par là.
Le 19 ou le 20 juin, le bateau appareille vers cinq heures du matin. Un navire de guerre nous escorte. Durant le trajet il larguera des bombes anti sous-marins. C’est une fausse alerte.
Une journée et une nuit plus tard, nous débarquons sans encombres à Plymouth. Nous descendons sans pagaille un par un. Suit une distribution de thé, à gauche les Français, les Belges et à droite les Polonais. La Croix Rouge est là s’il y a de malades. Je mange d’abord ce que l’on m’a donné puis je vais me faire enfin soigner les pieds. Ceux qui ont de l’argent peuvent le changer mais en fin de journée il n’y a déjà plus d’argent disponible, je n’ai donc pas pu changer mon pécule, néanmoins le soir j’ai le droit à une soupe.
Le lendemain, deux trains partent pour Glasgow en Ecosse. Dans chaque voiture il y a un soldat anglais qui surveille. Le premier train part à vingt deux heures, le second une demie heure plus tard. Toute la nuit ils vont rouler pour arriver à destination vers sept heures du matin.
L’officier qui nous accueille nous emmène au camp qui se trouve à trois kilomètres de la gare. Cent mètres après avoir débuté la marche, nous nous mettons à chanter « Soleil qui chauffe ? », et les Ecossais, ravis, nous jettent du chocolat, des cigarettes mais peu après nous arrêtons car cela tourne à la cacophonie !
Nous arrivons dans un lycée où nous sommes rassemblés. Les Ecossais viennent nous voir. Prise des identités de chaque soldat puis le soir une couverture nous est donnée pour dormir. Il y a là deux voire trois cent lits d’alignés.
Les jours suivants, nous sommes dirigés à une centaine de kilomètres de Glasgow vers un camp de tentes où des soldats polonais sont déjà sur place. Nous sommes deux par tentes, nous avons droit à une douche puis on nous change nos uniformes. On me donne pour le mien un numéro de nettoyage, les armes sont collectées. Je passe ensuite devant un bureau où l’on me demande d’où je viens, de quel régiment je suis issu, et quelle unité je souhaite rejoindre ? Un officier des troupes motorisées me convainc de le rejoindre, je n’aurais plus à marcher ! Son unité regroupe cinquante Polonais de France, vingt six de Pologne en plus de trois officiers et six sous-officiers. C’est un camion qui nous embarque vers les magasins pour la prise en compte des tentes, des poêles, de la nourriture puis direction Douglas Castle. Dans ce camp, nous nous organisons. Un de nos sergents nous ordonne de creuser les latrines à cent mètres de nos tentes, près de la rivière. Nous n’avons pas de cuistot c’est donc un polonais de Belgique, Slowik, qui sera responsable de la cuisine, le sergent-chef s’occupera du ravitaillement.
Le 15 juillet 1940, on demande des volontaires dans une grande ferme pour la moisson à quarante kilomètres d’ici, une vingtaine de gars de France dont un lieutenant s’y rendent. Je vais avec eux, je m’occupe des repas, nous dormons dans un grenier. Nous restons sur place trois semaines, nous parvenons à manger un faisan et nous découvrons des girolles.
Dans l’hiver nous passons de soixante seize à cent dix hommes. Ce sont des volontaires qui arrivent de France, du Canada et d’Argentine. C’est à Forfar que nous passons l’hiver dans deux écoles. Nous commençons à passer tous nos permis à l’école des chauffeurs. Tous les soldats réussissent, après deux mois de conduite et de cours de mécanique. Nous passons à un effectif de cinq cent hommes.
Durant l’été 1941 nous effectuons des manœuvres avec les Bren Carriers. L’hiver, nous restons à Forfar. Pour les fêtes de fin d’année, un officier m’ordonne de servir pour les repas, je refuse car je suis venu pour me battre, pas pour jouer au serveur. L’officier me traite de communiste français !
Peu après, le Major Swieciki, en montant des escaliers, trouve que dans ces escaliers, la boite à mégots déborde. Il m’ordonne de la vider, mais comme je ne suis pas de service, je refuse. Il en appelle à la garde et je dois me présenter au rapport le lendemain, en attendant je suis aux arrêts. Le lendemain matin, lors de l’appel, pas de Wiater donc. L’officier anglais responsable me fait relâcher pour que je puisse reprendre les cours. Pour en finir, le sergent m’a dit que je devais faire cinq jours d’arrêt, j’ai fait appel du règlement et j’ai gagné!
Très prochainement la suite de ce témoignage pour les années suivantes.