L’article d’aujourd’hui est un extrait de Filles de France daté du 15 Févrie.r 1945. Ce magazine est publié par l’Union des jeunes filles patriotes un organisme issu de l’union des jeunes filles de France, la section féminine de la jeunesse du PCF qui s’est engagé dans la résistance au cours de la seconde guerre mondiale. L’article s’intitule « Fille de France en 1er ligne avec leurs filleuls » il écrit par Blanche Barriquand dont je n’ai pas trouvé d’informations complémentaire.
Dimanche 7 Janvier, six gros camions quitte Paris en direction de l’Alsace. Ils vont porter à la colonne Fabien, qui depuis septembre n’a pas quitté le front, les colis de Noel offerts par l’Union des Jeunes Filles Patriote de la Seine. Nous sommes trois de l’U.J.F.P. qui avons pu les accompagner et les distribuer à nos filleuls jusque dans les postes les plus avancés du front.
Le front : c’est à la fois bien pis et beaucoup mieux que tout ce que les écrivains et les correspondants de guerre peuvent en dire. C’est bien pis, parce que personne ne peut imaginer sans l’avoir vu ce qu’est le gourbi du soldat. C’est un trou, un trou creusé dans le sol avec un toit de branchages et de terre, quelques marches pour descendre, un trou pour la fumée, c’est tout. Asseyez-vous : au bout de quelques minutes, vous pleurez à cause de la fumée, vos pieds gèlent dans la boue, et votre dos courbé contre la paroi ne peut plus se redresser. Vous êtes heureux d’en sortir, et pourtant ils vivent là. Certains y sont depuis un mois, attendant la relève. Pouvez-vous réaliser ce que c’est : un mois de front ? un mois avec la même paire de chaussettes, un mois sans s’etre lavé ni rasé ; il n’y a pas d’eau, ils doivent déjà, certains jours, faire fondre la neige pour la boire. Les chaussures prennent l’eau et nos garçons s’entourent les jambes de sacs à la manière de Charlie Chaplin dans La Ruée vers l’Or.
Rien de frais à manger ; presque toujours des conserves. Les heures de sentinelles sont longues. Il faut rester là, immobile, les yeux biens ouverts, les doigts gourds de froid, crispés sur le fusil.
Mais le front : c’est aussi l’endroit de France ou j’ai vu le plus de visages souriants et calmes.
Tous ces garçons sont de jeunes engagés volontaires, ils ont presque tous entre 18 et 30 ans, il y en a meme de très jeunes, tel Serge Gras, la Mascotte du bataillon de la jeunesse qui, malgré ses 15 ans et demi, fait partie du Corps Francs qui porte le nom de leur chef ; on a beaucoup écrit sur Fabien, je veux simplement vous dire à quel point ce jeune colonel de 26 ans était profondément aimé et estimé de ses hommes et j’insiste sur ce point : sans distinction de couleur politique, ou de confession : « notre seul politique est d’etre les meilleurs soldats possible. » Ce devrait etre la seule permise en ce moment.
Tous ces garçons partis comme volontaires sans attendre l’appel, ont accepté librement toutes ces souffrances à venir. Ils savaient à quoi ils s’engageaient. Ils ne songent pas à se plaindre, et je dois dire que c’est une des choses qui m’a le plus frappé de les voir constater simplement, sans récrimination, leur pénible situation matérielle.
(Censuré)
Ils acceptent la faim, le froid mais n’acceptent pas d’etre arrêtés dans leur avance. Quand on songe à tout ce qu’ils ont pu faire avec leurs pauvres moyens de fortune du début, on est un mesure d’espérer d’éclatantes victoires lorsqu’ils seront équipés et armés normalement, comme le général de Lattre le leur a promis. Pour l’instant, ils tiennent, rongent leurs freins de ne pouvoir foncer en avant. C’est la guerre de position. Ils ont le temps de penser, de regarder en arrière et c’est là que nous, jeunes filles, pouvons intervenir.
Je ne saurais vous décrire, la joie que j’ai lue sur tous les visages au moment de l’arrivés des colis. J’aurais voulu que tous, jeunes filles, écoliers et écolières, mamans et grand mères, vous tous qui avez répondu à notre appel en faveur de ce Noel, vous puissiez vous rendre compte du bonheur que vous leur avez donné.
- - Vous venez de Paris, mademoiselle ? Moi je suis du onzième ; qu’est-ce qu’on pense à Paris ?
Je n’osais pas leur dire qu’on pensait bien peu à la guerre, mais en voyant leurs yeux briller, leur hâte d’ouvrir le carton, leurs exclamations de joie en sortant le chocolat et les gâteaux, je me suis promis de dire et de répéter à tous et à toutes qu’il y a là-bas, dans l’Est, des gens qui sont à peu près coupés de tout contact avec l’arrière. Il faut agir, et agir assez rapidement pour eux. Il ne faut pas que le pays continue d’etre ainsi coupé en deux : le front et l’arrière. Il faut qu’ils reçoivent des colis et des lettres. Ces lettres, celles qui les écrivent ne savent pas le plaisir et le bonheur qu’elles donnent. (…) Celles qui écrit gentiment, tout simplement avec son cœur de jeunes filles et de Française, ne sait pas à quel point elle aide à maintenir le moral du soldat, ce moral dont dépendent des victoires. (…)
Filles de France, je compte absolument sur vous pour l’aide morale à nos soldats. Je leur ai promis, là-haut, qu’ils auraient bientôt tous une marraine. Je ne crois pas m’etre trop avancée ; je vous connais, et je sais ce que peut la jeunesse quand elle veut bien quelque chose.